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Les Tribulations de Balthasar Kober

2008-11-26 | |

Les Tribulations de Balthasar Kober (1988), quatorzième long-métrage de Wojciech Has (et hélas le dernier, puisque le cinéaste est mort sans qu'on lui ait accordé le budget qui lui aurait permis de tourner l'"Ane qui joue de la lyre", dont le scénario avait pourtant obtenu l'avance sur recette dès le début des années 80) est sa première expérience d'une coproduction avec la France.

En deçà du chef-d'œuvre

Le film adapte le roman de Frédéric Tristan, "Les Tribulations héroïques de Balthasar Kober", qui raconte les aventures d'un jeune orphelin dans l'Allemagne de la contre-réforme. On peut comprendre en lisant l'ouvrage ce qui a pu attirer le cinéaste dans ce voyage tant matériel que métaphysique d'un très jeune homme pour qui les mots ne coulent pas de source, et qui fait quelques rencontres déterminantes, comme Rosa, qui deviendra sa bien-aimée, ou Cammerschulze, le philosophe alchimiste qui deviendra son maître.

L'image, signée par Grzegorz Kędzierski, ancien assistant de Witold Sobociński ("La Clepsydre") qui a travaillé sur les trois films précédents de Has, le jeu remarquable du jeune acteur principal, Rafał Wieczyński, une révélation, et de tous les autres interprètes, notamment féminins - il est vrai que les rôles féminins sont très beaux dans ce film, ce qui est plutôt rare dans la filmographie d'un cinéaste souvent taxé de misogynie, ce qui mériterait une longue discussion -, tous les éléments semblent réunis pour que ce film, dans lequel on retrouve l'empreinte de "Manuscrit trouvé à Saragosse", soit un chef-d'œuvre.

Et dès le début, on est effectivement transporté, ébloui par une mise en scène qui crée des scènes inoubliables, notamment celles où l'enfant bègue dialogue avec ses morts, et quelques ellipses magistrales, où l'on reconnaît bien la manière du cinéaste. Et, avec l'apparition soudaine d'un Archange de carton-pâte comme il peut en exister dans l'imagination d'un enfant impressionnable, Has prouve qu'il peut tout se permettre, jusqu'à représenter l'Enfer. Et comment décrire la beauté envoûtante des derniers plans du film, quand le jeune homme, ayant traversé la frontière entre la vie et la mort, retrouve Rosa dans de mystérieuses grottes, avec le long travelling sur les coquillages qui se termine sur le visage doré de paillettes de Rosa ou les lumières qui dansent sur l'eau du fleuve pendant que s'éloigne la barque du nautonier ?

Alors qu'est-ce qui ne va pas dans ce film ?

C'est, dans la dernière partie, juste avant la fin, les séquences qui se passent à Venise. On a l'impression qu'il y a eu pour le cinéaste comme un passage à vide, une absence d'idées. Les scènes sont bien en place, elles sont bien filmées, mais la magie n'opère pas, on ne sait pas si l'on est dans ou au-delà des clichés. Ce n'est certes qu'une petite partie d'un long film, mais cela suffit à faire que, contrairement à "Manuscrit trouvé à Saragosse", "La Clepsydre" ou le trop peu connu "Journal intime d'un pécheur", le film reste en deçà du grand film qu'il aurait pu être.

Il est cependant réconfortant de constater que ce film a, en France, rencontré son public, composé en majorité de jeunes entre adolescence et âge adulte.

J'ajoute une remarque à propos de la fin de ce film, où l'on voit un générique de fin défilant sur un fond noir pendant que se prolonge la musique du dernier plan. Or tous les autres films du cinéaste, y compris les plus récents, se terminent sur le mot "Koniec", c'est-à-dire "Fin" en polonais. Has opposait en effet une résistance tranquille à une pratique apparue tardivement, mais qui s'est rapidement répandue pour des raisons qui n'ont rien à voir avec l'art cinématographique : terminer un film sur un générique défilant à plus ou moins grande vitesse, sur des images ou un fond noir ou coloré. Conséquences malheureuses des nécessités croisées du marketing et du sponsoring, ces interminables successions de noms viennent s'interposer entre le moment de la dernière image perçue-vécue du film, et la naissance de la mémoire du film qui grandit en chaque spectateur et l'habite longtemps après la projection. On peut regretter que, sur ce point, "Les Tribulations de Baltasar Kober" ait suivi les canons occidentaux.

Anne Guérin-Castell
2001-07-26